[Série colombienne] La frontière verte
La frontière verte
Titre original : Frontera verde
Pays : Colombie
Année : 2019
Episodes : 8 episodes de ~40mn
Réalisation : Ciro Guerra
Acteurs :
Juana del Río (Helena Poveda)
Ángela Cano (Ushë)
Miguel Dionisio Ramos (Yua)
Nelson Camayo (Reynaldo)
Bruno Clairefond (Joseph)
Quand son enquête sur quatre féminicides entraîne une jeune détective de Bogotá au coeur de la jungle, elle y découvre la magie, les nazis... et ses propres origines.
Encore une série colombienne mais avec plus de réussite cette fois, même si la fin est assez abrupte. Autant vous l'annoncer de suite, cette série est plus une aventure mystique qu'une enquête policière. Et autant beaucoup de choses m'avaient déplu dans Siempre Bruja, autant cette plongée dans le coeur (au sens propre) de la jungle m'a séduite malgré un rythme un peu lent.
Un voyage mystique et un cri d'alarme
La série débute sur des meurtre de femmes blanches, missionnaires, dans la jungle amazonienne et l'arrivée sur place d'une jeune femme policière, envoyée de Bogota. C'est un personnage qui intrigue dès les premières minutes, mystérieuse, taciturne, androgyne, elle encaisse les pitreries misogynes de la police locale avec un flegme déstabilisant.
Ces meutres sont le point de départ d'une plongée dans l'univers de la jungle et de ses tribus isolées, avec en fond une certaine vision catastrophique de notre société destructrice pour la nature. Ce qui est fait avec subtilité et sans tomber dans le pathos larmoyant, nous ne verrons jamais les engins de chantiers détruire le "poumon de la planète", mais tout au long de la série, l'intrigue sera bercée par le bruit entêtant des engins et les longs bruits déchirants des arbres qui cèdent. J'ai trouvé cette manière de faire vraiment interessante car si cela peut paraître un peu trop subtil au départ, ça en devient pesant, plombant la beauté de la nature par un simple bruit, notre imagination posant elle-même les images catastrophiques dessus...
Des personnages authentiques
Les personnages de la série sont tous crédibles dans leurs actions et leurs personnalités même si nous n'échapperons pas à certains clichés, notament dans le commissariat local avec un commissaire mysogine qui ne semble pas très honnête. Comme dans nombre de productions, colombiennes ou non, qui traitent de la jungle amazonnienne, il faut qu'il y ait des narcotrafiquants et des flics ripoux. Si nous ne verrons pas (beaucoup) les bûcherons et leur tronçonneuses du diable, le narco en chef local lui aura sa place dans la série.
Si la police parait un peu cliché, le personnage de Reynaldo, inspecteur et fils d'indigènes est un peu plus complexe. Coincé entre deux mondes auxquels il ne peut pas appartenir en même temps, il fera lui aussi un grand cheminement interieur en plus de son enquête. Agissant de manière parfois brutale, parfois maladroite, mais finalement touchante, il est un personnage qui parait simple à cerner au départ mais ne l'est pas tant que ça.
Hélena Poveda, personnage central de la série qui partage la vedette avec Yua et Ushë, est un rôle aussi bien écrit que joué. A la fois déterminée et en plein doutes, elle cherche des réponses dans la jungle, dans son passé et dans son coeur. Elle semble forte et très sensée, si au premier abord c'est son coté terre à terre qui ressort elle s'adapte vite au penchant mystique que prend sa quête.
Yua et Ushë, les eternels, sorte de gardiens de la jungle sont eux aussi en permanente remise en question, faut-il s'adapter pour survivre ou se battre pour la jungle, au risque de tout perdre ? Leurs visions des choses, légèrement différentes apporte pour chacun son lot de difficultés et de conflit interieur.
Les indigènes de la jungle parlent dans leur langue, ce qui ajoute une touche d'authenticité et de mystère. Et la forêt, la jungle mère est elle aussi un personnage à part entière dans la série, sans que cela ne paraisse loufoque, avec des plans contemplatifs de la junge et des visuels d'arbres s'illuminant pour donner la sensation de voir la sève des arbres comme du sang dans une veine.
Une narration originale et un rythme lent
Cette série qui commencait comme une simple enquête policière, avec un coupable tout désigné car les flèches plantées dans les victimes dénoncaient une tribu isolée de la jungle, bascule rapidement dans le mystique et la magie. La narration qui semblait toute tracée, de la découverte des meurtres à la résolution de l'enquête, dévie elle aussi dans des espaces temps plus ou moins clairement définis. Pour celles et ceux qui ont vu la série Dark, cela peut sembler un peu similaire. Même si ce n'est pas le style de narration que je préfère, j'ai trouvé que c'était bien fait et relativement cohérent. Yua et Ushë, devenus eux aussi éternels comme la forêt, partagent avec elle cette dimension temporelle et cela peu perturber de les retrouver, comme la forêt tout au long de l'intrigue.
En bref, c'est une série originale que j'ai bien appréciée. Sans être complètement destinée à nous ouvrir les yeux sur ce que l'on ne veut pas voir, à savoir la destruction de la forêt, la série nous le rappelle sans cesse de manière subtile. L'intrigue basculant dans le mystique reste compréhensible et captivante. La réalisation m'a aussi beaucoup plus, tout se passant au coeur de la jungle, on quitte le béton de nos villes pendant huit épisodes de magie et de verdure.
La jungle mère est éternelle.
Pour l'instant.