[Livre] Laitier de nuit

Titre original : Ночной молочник
Auteur : Andreï Kourkov
Année : 2007

Dans cette fable échevelée, les chats ressuscitent, un somnambules se fait suivre la nuit, un député ambitieux exige un lait très spécial, une organisation secrète manipule les braves gens... Trafics et tentatives de corruption s'enchaînent aussi aussi vite que les énigmes (et les rasades de gnôle à l'ortie!) pour tisser peu à peu la trame, non seulement d'un roman savoureux, mais d'un pays tout entier.

Au vu du résumé, il est clair que nous n'allons pas passer de tendres moment dans les prés à gambader après les vaches, tout bucoliques que nous sommes. Non, Laitier de nuit est un roman qui flotte quelque part entre le thriller, le burlesque et l'absurde, dans le style de ce que j'avais pu découvrir de cet auteur dans Le Pingouin et Les pingouins n'ont jamais froid. La mélancolie présente dans le binôme Viktor/Misha du Pingouin n'est cependant pas autant présente avec les personnages de ce roman mais on la retrouve un peu.

Un peu déroutant au départ, le livre présente de multiples personnages qui n'ont à priori rien à voir ensemble, ne se connaissent pas. Sans grande surprise, la construction du récit les amènera à se croiser dans diverses situations. Si ce concept n'est pas très original et que le début est du coup plus complexe à appréhender de part ces paragraphes saccadés concernant des personnages différents, l'écriture de Kourkov et les situations en question en font un oeuvre complètement à part. On retrouve le burlesque improbable de Kourkov, ces situations irréelles mais peut être plus vraies qu'on ne le pense... Les personnages sont assez représentatif du peuple ukrainien de l'époque, coincés entre l'effondrement du communisme et l'avènement d'un ère politiquement nouvelle. On y retrouve Irina, jeune mère célibataire ralliant chaque jour la capitale pour y vendre son lait, Yegor le milicien solitaire désireux de changer de vie, un maitre-chien de l'aéroport détournant certains bagages, la femme du pharmacien refusant la disparition de son mari, tous entraînés dans un monde fait de corruption, alcoolisme et pauvreté. Les personnages semblent subir leur vie plus que la maitriser, à l'image de Semmion, l'homme à tout faire somnambule qui mène une double vie la nuit. On est happé par ces histoires dont on souhaite connaitre les dénouements. Cela rend ce livre quasiment impossible à lâcher dès lors qu'on l'a ouvert.

De la même manière que dans les précédents livres que j'ai lus, j'ai retrouvé cette manière qu'ont les personnages de se lier facilement sans pour autant s'attacher. L'amitié et la confiance telle que nous les connaissons n'ont pas leur place dans ce pays où règne la corruption en haut lieu et où le petit peuple en galère jongle entre les magouilles pour survivre. C'est, du moins pour les oeuvres que j'ai lu, un thème cher à Kourkov, et cela donne une dimension assez mélancolique à l'ensemble. Comme si chaque relation, chaque lien entre les personnage était ephémère ou artificiel, une sorte de tristesse et de solitude enfouies en chacun des protagonistes.

Ce livre n'est pas très long et se lit très vite (comme cet article du coup ^^). La fin est assez surprenante, presque décevante car on sent bien que si le livre s'arrête, les personnages n'en sont pas à la fin de leur vie. Il n'y a pas vraiment dans ce livre de suspense ou d'émotions qui vont crescendo comme dans certains thrillers, et cela peut destabiliser un peu. C'est comme si après nous avoir promené dans son monde, dans ses situations loufoques, après nous avoir appris à cotoyer ses personnages à la fois si normaux et tellements bizarres, le livre nous laissait sur le bord de la route pour continuer sans nous...

« Il est des histoires qui commencent un beau jour et qui jamais ne s’achèvent ».

En bref, c'est évidement un livre que j'ai aimé vous l'aurez compris. Malgré une construction assez attendue (les gens que rien ne lie qui se rencontrent) Kourkov réussi à faire de son récit une histoire attractive et des personnages attachants et touchants. Entre cynisme, humour et mélancolie, Laitier de nuit est un livre que je conseille à tous et qui j'espère vous plaira autant qu'à moi.